Ce qu'il en reste
Marie-Thérèse Brassens, 68 ans, retraitée, Trèbes
La veille, il y avait eu une alerte orange, mais je n’avais pas d’appréhension. Dans la nuit, mon chat, d’habitude calme et paisible, s’est mis à miauler
et m’a réveillée. Je suis descendue, il y avait de l’eau le long du couloir. J’étais un peu endormie, j’ai pris une serpillère et j’ai commencé à éponger, mais l’eau continuait de rentrer. D’un seul coup, un chuintement très fort : l’eau rentrait
en cascade par la fenêtre. Il était 5 h 30-6 h. L’eau est montée très vite, une marche, deux marches, trois marches... Là, j’ai commencé à avoir peur. J’ai voulu appeler les pompiers, mais dans la panique j’ai appelé la gendarmerie.
Un jeune, très gentil, à qui j’explique la situation, me pose une question qui me restera tout le temps : « Est-ce que vous avez un étage ? » Je lui réponds que oui. «Restez à l’étage et si l’eau monte, grimpez sur un meuble...»
J’entendais l’eau rentrer, et les bruits... des casseroles qui s’entrechoquaient, des craquements, des meubles qui se levaient, le canapé à la verticale, la maison en vrac... Le bruit, c’est ça qui m’a le plus marquée. J’avais une cuisine vivante, tout tombait, les verres, les assiettes, les meubles se cognaient les uns contre les autres, une cloison s’est percée...
J’ai pensé à ma voisine qui a 96 ans. J’avais peur qu’elle descende et qu’il
lui arrive malheur. Je suis allée à la fenêtre et on se faisait signe avec nos piles pour se dire bonjour.
Ma voiture s’est mise à clignoter, j’ai cru que les pompiers arrivaient, j’étais perdue, sidérée, en état de choc.
La décrue s’est amorcée. Sans vraiment réaliser ce qui se passait, j’ai pris une éponge et j’ai nettoyé mes marches. C’était mécanique, sans avoir conscience de la gravité de ce qui venait d’arriver.
Et puis le matin, j’ai vu la boue dans mon salon, et j’ai compris que j’avais perdu beaucoup de choses. C’est une voisine qui est venue. Elle m’a dit : « Ouvre
les portes pour que l’eau sorte.» Il restait encore de l’eau et je n’avais même pas eu ce réflexe. J’étais vraiment sous le choc.
Puis la solidarité s’est installée de suite, la famille, les amis, les institutions. J’étais plus chez moi. Ça allait, ça venait, on m’enlevait mes meubles,
on me faisait la vaisselle. C’était une obsession, il fallait que je reste chez moi. Une psychologue est venue. J’ai eu l’impression d’être portée, bien accompagnée.
Je n’ai jamais eu l’idée de partir. Je me suis dit : « Essaie de reconstruire,
si ça reproduit, tu partiras.» Ça fait vingt-six ans que je vis ici. Je n’ai pas peur de rester. Je ne pouvais plus rester au rez-de-chaussée, je ne voulais plus voir. Dans un premier temps, je suis allée chez des amis, puis je suis restée
au premier étage.
J’ai perdu ma mère en janvier 2019, d’un cancer généralisé ; le 5 janvier,
mon petit-fils est né avec un problème d’AVC in utero ; le 1er juillet 2019, mon frère a été découvert mort chez lui brutalement ; en février 2020, le père de
mes enfants s’est éteint... Je me suis dit : « Tu n’as pas le choix, il faut avancer. » Cet évènement m’a beaucoup changée.