PORTFOLIO: What's left, France: Ce qu'il en reste

Pierre Joseph Rouanet, 92 ans, retraité, VillegailhencLa veille, on avait fait un voyage avec le club occitan, nous sommes revenusà 23 h . Je suis allé directement me coucher. Vers 2 h du matin, quelque chose m’a réveillé. J’avais de l’eau dans la chambre, ça pissait dans ma chambre !Je suis monté dans le grenier pour mettre des bassines. Il y avait autant d’eau dans la cour. À un moment donné, la lumière a foutu le camp. Je me suis dit :« Je retourne au lit, je vis ma vie ! » J’avais trente centimètres dans la cuisine. Je me suis levé à 7 h du matin, j’ai écopé le reste. Quand je suis descenduau village, il y avait de l’eau jusqu’au-dessus du monument au mort.C’est là que j’ai réalisé qu’il y avait eu des inondations. Ma voisine, Valentine, est morte noyée.Je suis né dans une campagne qui appartenait à Montipèze à Aragon. Le village est mort. Il faut démolir la moitié du village à cause des inondations. Il y a cinquante ans, il n’y avait pas de moyen de locomotion. Il y avait le boulanger,le boucher, il y avait quatre voitures dans le village. On faisait tout à vélo. Le plus loin, c’était la fête locale à Conques ! Le long de la rivière, dans les maisons, personne n’habitait en bas, c’était des remises. Les gens d’ici savaient...Les anciens ne sont plus écoutés. Le pont a foutu le camp. Ils ont refait ce pont, et il partira à la prochaine inondation ! Aujourd’hui, ils ne savent pas construire des ponts. Il y a des cathédrales, des pyramides, elles tiennent, mais de nos jours, les bâtiments se dégradent vite. Le petit pont du village, lui, très ancien, n’est pas parti, les voitures s’y sont arrêtées. Il est fait de pierres assemblées, pas de ciment, et il ne part pas. Ils ont beau calculer tout ce qu’ils voudront,ce pont nouveau au cœur de Villegailhenc partira, moi je le vois comme ça.En 1921, le pont avait déjà foutu le camp, ce n’est pas la première fois.L’eau était rentrée dans la vieille église. Il y avait eu un mètre d’eau.Ça reviendra, il ne faut pas s’affoler, ça reviendra...
Ce qu'il en reste

Pierre Joseph Rouanet, 92 ans, retraité, Villegailhenc

La veille, on avait fait un voyage avec le club occitan, nous sommes revenus

à 23 h . Je suis allé directement me coucher. Vers 2 h du matin, quelque chose m’a réveillé. J’avais de l’eau dans la chambre, ça pissait dans ma chambre !

Je suis monté dans le grenier pour mettre des bassines. Il y avait autant d’eau dans la cour. À un moment donné, la lumière a foutu le camp. Je me suis dit :

« Je retourne au lit, je vis ma vie ! » J’avais trente centimètres dans la cuisine. Je me suis levé à 7 h du matin, j’ai écopé le reste. Quand je suis descendu

au village, il y avait de l’eau jusqu’au-dessus du monument au mort.

C’est là que j’ai réalisé qu’il y avait eu des inondations. Ma voisine, Valentine, est morte noyée.

Je suis né dans une campagne qui appartenait à Montipèze à Aragon. Le village est mort. Il faut démolir la moitié du village à cause des inondations. Il y a cinquante ans, il n’y avait pas de moyen de locomotion. Il y avait le boulanger,

le boucher, il y avait quatre voitures dans le village. On faisait tout à vélo. Le plus loin, c’était la fête locale à Conques ! Le long de la rivière, dans les maisons, personne n’habitait en bas, c’était des remises. Les gens d’ici savaient...

Les anciens ne sont plus écoutés. Le pont a foutu le camp. Ils ont refait ce pont, et il partira à la prochaine inondation ! Aujourd’hui, ils ne savent pas construire des ponts. Il y a des cathédrales, des pyramides, elles tiennent, mais de nos jours, les bâtiments se dégradent vite. Le petit pont du village, lui, très ancien, n’est pas parti, les voitures s’y sont arrêtées. Il est fait de pierres assemblées, pas de ciment, et il ne part pas. Ils ont beau calculer tout ce qu’ils voudront,

ce pont nouveau au cœur de Villegailhenc partira, moi je le vois comme ça.

En 1921, le pont avait déjà foutu le camp, ce n’est pas la première fois.

L’eau était rentrée dans la vieille église. Il y avait eu un mètre d’eau.

Ça reviendra, il ne faut pas s’affoler, ça reviendra...