PORTFOLIO: What's left, France: Ce qu'il en reste

Bernard Sierra, 68 ans, retraité, VillegailhencJ’étais chez moi vers 23 h , il pleuvait très fort, tellement fort que je montaisle son de la télévision. Et puis vers minuit, je suis allé voir ma terrasse, je vivaisau bord de la rivière, l’eau s’écoulait. De nouveau, j’ai entendu taper, très fort, au-dessous. En bas, c’était un garage avec une buanderie. Je me suis dit que quelqu’un était en train de me cambrioler. Je suis descendu avec une battede base-ball. La porte d’entrée s’est fendue en deux sous la pression de l’eau qui était déjà à trois mètres, mais je ne le savais pas. Toute l’eau s’est engouffrée dans la cage d’escalier, je suis monté comme une balle de ping-pong.Je me suis retrouvé dans le salon dans dix centimètres d’eau au premier étage. Le bruit que j’entendais, c’était la voiture, une grosse Toyota qui tournaitet cognait au plafond. Impossible de tenir debout. Je n’ai rien pu sauver.Je panique un peu, j’appelle les pompiers. J’avais presque plus de batterie.« Il vous faut monter sur le toit », me disent-ils.Mon téléphone sonne, c’est mon fils, il m’appelle de Kaboul, en Afghanistan.« Il faut que tu ailles sauver Anastasia, elle est enceinte, elle est à Trèbes,elle est en train de se noyer. Ils ont eu deux mètres cinquante.» Je lui disque je ne peux pas.Je m’assois dans l’escalier, chaque fois que l’eau montait, je montais.Je ramassais ce que je voyais, je gardais n’importe quoi.J’ai appelé mon copain un peu plus bas, je lui ai dit que j’avais de l’eau,il me dit que lui aussi, mais il avait dix centimètres. Je lui dis que c’est peut-être la dernière fois que je lui parle. Il me répond : « Bernard, ce n’est rien, c’estque de l’eau.» Il n’avait pas conscience du niveau chez moi. Je suis montéau deuxième étage et je suis allé me coucher, mais je n’ai pas dormi.J’ai pris six mètres quatre-vingts.Dans la maison, l’eau c’était stressant, mais le bruit, c’était phénoménal.Des cuves à mazout, des voitures tapaient contre ma maison. J’avais une vague de deux mètres cinquante dans le salon qui tourbillonnait. Vers 2 h du matin,le pont a cédé et l’eau a commencé à descendre. Tous les meubles se sont engouffrés dans la cage d’escalier. Je suis sorti à la nage et je suis arrivé surla route. Je n’ai pas vu l’inondation. Dans le noir, je n’entendais que le bruit.Ma maison était en bas du café, de l’autre côté de la maison des associations.Je ne reconnaissais personne. Je n’ai rien touché à la maison pendant quinze jours. Le matin, je partais à 8 h avec des bottes et j’aidais les autres. Jusqu’àce que le club de rugby vienne. J’ai vécu un an et demi au deuxième étage,je campais (une salle de bains, un WC, la chambre, une prise qui ne marchait pas, pas de chauffage, une ampoule...). J’avais de l’eau tiède de temps en temps. C’est quand la Croix Rouge est venue me proposer une soupe que je me suis dit que je touchais le fond, et j’ai fondu en larmes.
Ce qu'il en reste

Bernard Sierra, 68 ans, retraité, Villegailhenc

J’étais chez moi vers 23 h , il pleuvait très fort, tellement fort que je montais

le son de la télévision. Et puis vers minuit, je suis allé voir ma terrasse, je vivais

au bord de la rivière, l’eau s’écoulait. De nouveau, j’ai entendu taper, très fort, au-dessous. En bas, c’était un garage avec une buanderie. Je me suis dit que quelqu’un était en train de me cambrioler. Je suis descendu avec une batte

de base-ball. La porte d’entrée s’est fendue en deux sous la pression de l’eau qui était déjà à trois mètres, mais je ne le savais pas. Toute l’eau s’est engouffrée dans la cage d’escalier, je suis monté comme une balle de ping-pong.

Je me suis retrouvé dans le salon dans dix centimètres d’eau au premier étage. Le bruit que j’entendais, c’était la voiture, une grosse Toyota qui tournait

et cognait au plafond. Impossible de tenir debout. Je n’ai rien pu sauver.

Je panique un peu, j’appelle les pompiers. J’avais presque plus de batterie.

« Il vous faut monter sur le toit », me disent-ils.

Mon téléphone sonne, c’est mon fils, il m’appelle de Kaboul, en Afghanistan.

« Il faut que tu ailles sauver Anastasia, elle est enceinte, elle est à Trèbes,

elle est en train de se noyer. Ils ont eu deux mètres cinquante.» Je lui dis

que je ne peux pas.

Je m’assois dans l’escalier, chaque fois que l’eau montait, je montais.

Je ramassais ce que je voyais, je gardais n’importe quoi.

J’ai appelé mon copain un peu plus bas, je lui ai dit que j’avais de l’eau,

il me dit que lui aussi, mais il avait dix centimètres. Je lui dis que c’est peut-être la dernière fois que je lui parle. Il me répond : « Bernard, ce n’est rien, c’est

que de l’eau.» Il n’avait pas conscience du niveau chez moi. Je suis monté

au deuxième étage et je suis allé me coucher, mais je n’ai pas dormi.

J’ai pris six mètres quatre-vingts.

Dans la maison, l’eau c’était stressant, mais le bruit, c’était phénoménal.

Des cuves à mazout, des voitures tapaient contre ma maison. J’avais une vague de deux mètres cinquante dans le salon qui tourbillonnait. Vers 2 h du matin,

le pont a cédé et l’eau a commencé à descendre. Tous les meubles se sont engouffrés dans la cage d’escalier. Je suis sorti à la nage et je suis arrivé sur

la route. Je n’ai pas vu l’inondation. Dans le noir, je n’entendais que le bruit.

Ma maison était en bas du café, de l’autre côté de la maison des associations.

Je ne reconnaissais personne. Je n’ai rien touché à la maison pendant quinze jours. Le matin, je partais à 8 h avec des bottes et j’aidais les autres. Jusqu’à

ce que le club de rugby vienne. J’ai vécu un an et demi au deuxième étage,

je campais (une salle de bains, un WC, la chambre, une prise qui ne marchait pas, pas de chauffage, une ampoule...). J’avais de l’eau tiède de temps en temps. C’est quand la Croix Rouge est venue me proposer une soupe que je me suis dit que je touchais le fond, et j’ai fondu en larmes.