Ce qu'il en reste
Michel Proust, 72 ans, maire de Villegailhenc
Humainement ça a été très fort. Quand je suis sorti de chez moi à 1 h du matin pour lancer le PCS [plan communal de sauvegarde], je ne voyais plus la maison de mon voisin tellement le rideau était fort. Il y avait déjà des véhicules de pompiers qui étaient arrivés pas loin de chez moi. On ne pouvait pas se rendre à la mairie pour lancer le PCS, j’ai pu seulement appeler les adjoints, mais tous les secteurs se trouvaient isolés. En pleine nuit, les secours ne pouvaient rien faire. Une embarcation a failli être emportée. De même pour les personnes qui étaient sur les toits, il a fallu attendre le matin pour les hélitreuiller avec des hélicoptères venus de Perpignan.
À 5 h 30, on ne pouvait toujours pas accéder à l’autre côté du village. À 7 h 30, l’eau passait encore par-dessus. Dès qu’on a pu bouger, on a utilisé la cantine scolaire comme poste de secours et ce qui était d’ordre social était fait en mairie. L’eau, l’électricité et le téléphone étaient coupés. Plus d’Internet pendant plusieurs jours, donc impossible de faire les dossiers. On a mobilisé beaucoup d’entreprises, il fallait réagir vite. Les assurances ne voulaient pas que l’on touche les véhicules tant que les experts n’étaient pas venus. Je me suis pris un peu la tête avec la présidente des assurances au niveau national... parce qu’il fallait sauver les gens, les nourrir, nettoyer les maisons... Des bénévoles et des employés municipaux faisaient à manger, matin, midi et soir. On était présent 24 heures sur 24, et ce pendant pratiquement un mois. Tout s’est organisé très vite. Sur 860 foyers, soit 1 700 habitants, 430 étaient impactés.
On a eu la chance d’être en octobre et que tous les gîtes des sites carcassonnais soient libres, donc on a pu reloger tout le monde rapidement. L’EPF [établissement public foncier] a assuré le traitement du fonds Barnier, ce fut une première en France. On n’aurait pas pu gérer ça, on était sur le terrain. Mais c’est moi, le maire, qui devait annoncer à la population concernée que leur maison allait être démolie. Les trois premières semaines, il y a eu des psychologues, ils faisaient aussi des permanences à la mairie. Il a aussi fallu gérer les dons. Parfois des camions arrivaient avec des matelas tachés, une chaussure sur deux... il fallait tout jeter ! On a eu un monsieur venu de Savoie, il était électricien. Il n’a même pas voulu qu’on le loge. Il campait sur le stade et il allait contrôler toutes les maisons avant de réenclencher le compteur une fois que tout avait été nettoyé. Il est venu quinze jours sur ses congés... Un traiteur est venu de Saint-Gaudens, un dimanche matin. Il est arrivé et nous a dit de mettre des tables et des chaises. Il a fait à manger pour quatre cents personnes ce jour-là !
Dans ce genre de période, on perçoit l’être humain tel qu’il est... Mais c’est parfois désolant ! Je crois en l’être humain, mais pas au bon Dieu : avec l’arrivée des dons, on a dû virer des gens, faire intervenir les gendarmes. Des sinistrés ou non chargeaient leur voiture, prenaient tout et insultaient ceux qui s’occupaient des dons... Il y a vraiment des extrêmes. C’est là où on voit la vraie nature humaine.