PORTFOLIO: Ce qu'il en reste, France: Ce qu'il en reste

Pierre Visentin, 58 ans, agent de service technique à la mairie de Trèbes, VillalierQuand j’ai vécu les inondations, j’étais à Villalier, pas sur Trèbes. Le matin, je me préparais pour aller travailler. Pas de lumière. Et les pieds humides. Quelques fuites d’eau ? J’appelle mon chef, je lui dis que j’aurais du retard. Il me dit de ne pas venir. J’ouvre les volets, je vois le maire et des gens passer, emmitouflés. Je ne savais pas qu’il avait plu pendant la nuit. J’ai vécu quatre inondations dont celle de 1970, où il y avait eu quarante centimètres dans la maison à Trèbes où était ma mère. Je me souviens de mon père et de tout le voisinage dans le quartier de l’Aiguille ; quand il pleuvait, ils mettaient un bâton dans la rue pour voir le niveau de l’eau. Une heure après, on jaugeait si par rapport à cela il fallait monter les meubles ou pas. Je suis allé faire le petit-déjeuner pour des gens sinistrés. Le téléphone ne passait pas, les accès étaient fermés, j’étais sans nouvelles de ma mère.Sur les coups de midi, j’étais sur le pont de l’Orbiel. Un ancien pompier de Trèbes me dit que l’on peut y accéder difficilement, il y a des cailloux, des arbres sur la route... Mon frère m’appelle. Ma mère, 86 ans, avait un étage. Par précaution, on l’avait installée en bas pour qu’elle soit à proximité des toilettes. Je dis à mon frère : «Je le sens mal...» J’arrive à Trèbes, côté pont du canal, des bateaux sont sur le côté. La police municipale puis les pompiers m’arrêtent : « Tu ne peux pas y aller, c’est l’apocalypse.» Au dojo, je tombe sur des élus de la mairie de Trèbes: «Pierre, ta maman.» Quand le maire termine sa conversation, il me fait signe de venir, me serre la main, il me regarde. Ma mère était morte. Pas un mot. C’est le pire. J’étais anéanti. J’ai culpabilisé de l’avoir mise dans la chambre du bas. Elle a tout pris. Deux mètres dans la maison, de l’eau boueuse, froide, la porte qui s’ouvre dans le sens contraire... Je ne voulais pas entendre que ma mère était morte noyée. J’ai eu heureusement la confirmation de l’équipe de sauvetage qu’elle n’est pas morte noyée.La folie ! Du limon, de la terre. Affreux ! Quand vous voyez cette trace de limon sur la tapisserie... Je ne pouvais plus rien faire. Je ne pouvais pas rester chez moi. Je me suis mis à la disposition de la mairie de Villalier. Il fallait que je m’occupe l’esprit. J’ai repris le travail le jeudi. Le maire me voit : « Tu t’en vas, tu quittes le boulot, une semaine, un mois, je ne veux plus te voir.» Il a fait son rôle de A à Z. On est parti à la frontière suisse chez notre fille. La maison de ma mère a bénéficié du fonds Barnier, elle a été détruite. J’y passais tous les jours pour aller au travail. Tous les matins pendant deux ans et demi, j’avais l’impression que j’allais la voir à la fenêtre. Mes collègues me disaient de changer d’itinéraire. Mais je ne pouvais pas. Je rentrais dans la maison. Il y a eu du pillage. Il ne reste plus rien. J’ai repris le boulot après trois semaines. J’ai commencé à vider les maisons des autres.
Ce qu'il en reste

Pierre Visentin, 58 ans, agent de service technique à la mairie de Trèbes, Villalier 

Quand j’ai vécu les inondations, j’étais à Villalier, pas sur Trèbes. Le matin, je me préparais pour aller travailler. Pas de lumière. Et les pieds humides. Quelques fuites d’eau ? J’appelle mon chef, je lui dis que j’aurais du retard. Il me dit de ne pas venir. J’ouvre les volets, je vois le maire et des gens passer, emmitouflés. Je ne savais pas qu’il avait plu pendant la nuit. J’ai vécu quatre inondations dont celle de 1970, où il y avait eu quarante centimètres dans la maison à Trèbes où était ma mère. Je me souviens de mon père et de tout le voisinage dans le quartier de l’Aiguille ; quand il pleuvait, ils mettaient un bâton dans la rue pour voir le niveau de l’eau. Une heure après, on jaugeait si par rapport à cela il fallait monter les meubles ou pas. Je suis allé faire le petit-déjeuner pour des gens sinistrés. Le téléphone ne passait pas, les accès étaient fermés, j’étais sans nouvelles de ma mère. 

Sur les coups de midi, j’étais sur le pont de l’Orbiel. Un ancien pompier de Trèbes me dit que l’on peut y accéder difficilement, il y a des cailloux, des arbres sur la route... Mon frère m’appelle. Ma mère, 86 ans, avait un étage. Par précaution, on l’avait installée en bas pour qu’elle soit à proximité des toilettes. Je dis à mon frère : «Je le sens mal...» J’arrive à Trèbes, côté pont du canal, des bateaux sont sur le côté. La police municipale puis les pompiers m’arrêtent : « Tu ne peux pas y aller, c’est l’apocalypse.» Au dojo, je tombe sur des élus de la mairie de Trèbes: «Pierre, ta maman.» Quand le maire termine sa conversation, il me fait signe de venir, me serre la main, il me regarde. Ma mère était morte. Pas un mot. C’est le pire. J’étais anéanti. J’ai culpabilisé de l’avoir mise dans la chambre du bas. Elle a tout pris. Deux mètres dans la maison, de l’eau boueuse, froide, la porte qui s’ouvre dans le sens contraire... Je ne voulais pas entendre que ma mère était morte noyée. J’ai eu heureusement la confirmation de l’équipe de sauvetage qu’elle n’est pas morte noyée. 

La folie ! Du limon, de la terre. Affreux ! Quand vous voyez cette trace de limon sur la tapisserie... Je ne pouvais plus rien faire. Je ne pouvais pas rester chez moi. Je me suis mis à la disposition de la mairie de Villalier. Il fallait que je m’occupe l’esprit. J’ai repris le travail le jeudi. Le maire me voit : « Tu t’en vas, tu quittes le boulot, une semaine, un mois, je ne veux plus te voir.» Il a fait son rôle de A à Z. On est parti à la frontière suisse chez notre fille. La maison de ma mère a bénéficié du fonds Barnier, elle a été détruite. J’y passais tous les jours pour aller au travail. Tous les matins pendant deux ans et demi, j’avais l’impression que j’allais la voir à la fenêtre. Mes collègues me disaient de changer d’itinéraire. Mais je ne pouvais pas. Je rentrais dans la maison. Il y a eu du pillage. Il ne reste plus rien. J’ai repris le boulot après trois semaines. J’ai commencé à vider les maisons des autres.