PORTFOLIO: Ce qu'il en reste, France: Ce qu'il en reste

Christelle Perez, 50 ans, bibliothécaire à Trèbes, avec ses fils, Clément, 16 ans, et Baptiste, 19 ans, Conques-sur-OrbielJe savais qu’il y avait une alerte orange. On en rigolait avec les amis sur les réseaux en disant : « Si en plus il y a des tuiles qui tombent ! » Toutes ces alertes, je ne m’en suis jamais préoccupée, car on n’a jamais vécu de catastrophe. Ma mère m’avait parlé des inondations dans le quartier de l’Aiguille. Les anciens mettaient des petits cailloux vers le camping, c’était leur instrument de mesure. Je me couche, pas plus inquiète que ça. Ma mère m’appelle et me demande de dormir à l’étage avec mes enfants. Je reste en bas avec mon jeune fils. Quand je me suis réveillée, j’ai trouvé qu’il pleuvait très fort. Ma mère m’envoie un texto :«Je suis sur le site Vigicrue, je trouve que ça monte vite.» Mais elle n’était pas trop inquiète. « Christelle prend des photos de tes pièces, prends les photos des enfants et monte ça à l’étage.» J’ai dit à mon petit, Clément, de monter. Il prend des petits bibelots, cela le rassurait. Ma mère me dit : « Ça monte, ça monte.» J’imaginais qu’on pouvait avoir cinquante centimètres, je ne voulais pas partir de chez moi. Je voulais sauver des affaires.Je réveille Baptiste pour qu’il m’aide. On a mis tout ce qu’on pouvait mettre en hauteur. On était inconscients, on ne se rendait pas compte de ce qui allait arriver. Je faisais des photos, on rigolait ! Je voyais l’eau monter, elle était à la moitié de mes roues de voiture. Ça, c’est la dernière image que j’ai du jardin. Entre 5 h 10 et 5 h 15, il a fallu se rendre à l’évidence : l’eau rentrait dans la maison. Grosse panique, j’étais en stress. On s’est replié dans la cuisine, puis on est monté à l’étage où on devait être en sécurité. L’eau est montée d’un coup, trois marches avant l’étage. On n’a plus de mesure exacte. Il fallait que l’on monte dans les combles. Il y avait un accès dans la salle de bains. C’est monté si vite, je me disais que ça pouvait encore monter. J’avais les jambes dans le trou de l’ouverture et avec la lumière du téléphone, je surveillais le niveau de l’eau. Il n’y avait pas de velux, alors Baptiste s’est mis au plus bas du toit et il a mis son dos par terre et avec les pieds... des tuiles ont cédés. On avait une ouverture vers l’extérieur. On n’est pas monté sur le toit. Baptiste a appelé les pompiers. Le gamin était calme, avec du sang-froid. Combien on est, mettez-vous à l’abri... avec toutes les recommandations. Il y a eu un glou glou... cette eau propre est devenue dégueulasse. On entendait des grondements, des cris. On pensait à nous, on a essayé de se sauver, et on n’a pas pensé aux voisins. Je m’entendais bien avec eux. Ils sont morts. C’était égoïste.On est resté cinq heures dans les combles, c’était interminable. On s’est mis à pleurer à tour de rôle. On a eu les pompiers plusieurs fois dans la nuit.À la fin, on leur disait : « Venez nous sauver, sinon on va crever ! » Ils disaient qu’ils allaient venir en barque. Mais ce n’était pas possible de passer en barque. Les hélicoptères étaient en route, je m’inquiétais avec les platanes... Je n’étais plus maîtresse de ma vie, c’est l’eau qui dirigeait ma vie. Je ne pouvais rien garantir à mes enfants, même si je les rassurais par des paroles. De savoir que l’on dépend des éléments naturels, c’est terrible. J’ai prié, j’ai prié mon père, j’ai ressenti sa présence. J’ai appelé les gens que j’aime pour leur dire ce qu’on vivait et leur dire au revoir. Les petits ont laissé un message à leur père. J’étais hors du temps. Le choc traumatique fait que le cerveau se met en « sécurité ». J’ai eu l’image de promener mon cerveau en laisse. Baptiste, mon aîné, a été notre maître, il nous a montré ce qu’il fallait faire. Par la suite, on avait besoin de parler de ce qu’on avait vécu, mais j’ai senti que les gens en avaient marre, il fallait passer à autre chose. J’ai besoin de tout, je n’ai plus rien, je suis rentrée chez ma mère avec un sac en lui disant: «Voilà, on va recommencer avec ça.»
Ce qu'il en reste

Christelle Perez, 50 ans, bibliothécaire à Trèbes, avec ses fils, Clément, 16 ans, et Baptiste, 19 ans, Conques-sur-Orbiel 

Je savais qu’il y avait une alerte orange. On en rigolait avec les amis sur les réseaux en disant : « Si en plus il y a des tuiles qui tombent ! » Toutes ces alertes, je ne m’en suis jamais préoccupée, car on n’a jamais vécu de catastrophe. Ma mère m’avait parlé des inondations dans le quartier de l’Aiguille. Les anciens mettaient des petits cailloux vers le camping, c’était leur instrument de mesure. Je me couche, pas plus inquiète que ça. Ma mère m’appelle et me demande de dormir à l’étage avec mes enfants. Je reste en bas avec mon jeune fils. Quand je me suis réveillée, j’ai trouvé qu’il pleuvait très fort. Ma mère m’envoie un texto : 

«Je suis sur le site Vigicrue, je trouve que ça monte vite.» Mais elle n’était pas trop inquiète. « Christelle prend des photos de tes pièces, prends les photos des enfants et monte ça à l’étage.» J’ai dit à mon petit, Clément, de monter. Il prend des petits bibelots, cela le rassurait. Ma mère me dit : « Ça monte, ça monte.» J’imaginais qu’on pouvait avoir cinquante centimètres, je ne voulais pas partir de chez moi. Je voulais sauver des affaires. 

Je réveille Baptiste pour qu’il m’aide. On a mis tout ce qu’on pouvait mettre en hauteur. On était inconscients, on ne se rendait pas compte de ce qui allait arriver. Je faisais des photos, on rigolait ! Je voyais l’eau monter, elle était à la moitié de mes roues de voiture. Ça, c’est la dernière image que j’ai du jardin. Entre 5 h 10 et 5 h 15, il a fallu se rendre à l’évidence : l’eau rentrait dans la maison. Grosse panique, j’étais en stress. On s’est replié dans la cuisine, puis on est monté à l’étage où on devait être en sécurité. L’eau est montée d’un coup, trois marches avant l’étage. On n’a plus de mesure exacte. Il fallait que l’on monte dans les combles. Il y avait un accès dans la salle de bains. C’est monté si vite, je me disais que ça pouvait encore monter. J’avais les jambes dans le trou de l’ouverture et avec la lumière du téléphone, je surveillais le niveau de l’eau. Il n’y avait pas de velux, alors Baptiste s’est mis au plus bas du toit et il a mis son dos par terre et avec les pieds... des tuiles ont cédés. On avait une ouverture vers l’extérieur. On n’est pas monté sur le toit. Baptiste a appelé les pompiers. Le gamin était calme, avec du sang-froid. Combien on est, mettez-vous à l’abri... avec toutes les recommandations. Il y a eu un glou glou... cette eau propre est devenue dégueulasse. On entendait des grondements, des cris. On pensait à nous, on a essayé de se sauver, et on n’a pas pensé aux voisins. Je m’entendais bien avec eux. Ils sont morts. C’était égoïste. 

On est resté cinq heures dans les combles, c’était interminable. On s’est mis à pleurer à tour de rôle. On a eu les pompiers plusieurs fois dans la nuit. 

À la fin, on leur disait : « Venez nous sauver, sinon on va crever ! » Ils disaient qu’ils allaient venir en barque. Mais ce n’était pas possible de passer en barque. Les hélicoptères étaient en route, je m’inquiétais avec les platanes... Je n’étais plus maîtresse de ma vie, c’est l’eau qui dirigeait ma vie. Je ne pouvais rien garantir à mes enfants, même si je les rassurais par des paroles. De savoir que l’on dépend des éléments naturels, c’est terrible. J’ai prié, j’ai prié mon père, j’ai ressenti sa présence. J’ai appelé les gens que j’aime pour leur dire ce qu’on vivait et leur dire au revoir. Les petits ont laissé un message à leur père. J’étais hors du temps. Le choc traumatique fait que le cerveau se met en « sécurité ». J’ai eu l’image de promener mon cerveau en laisse. Baptiste, mon aîné, a été notre maître, il nous a montré ce qu’il fallait faire. Par la suite, on avait besoin de parler de ce qu’on avait vécu, mais j’ai senti que les gens en avaient marre, il fallait passer à autre chose. J’ai besoin de tout, je n’ai plus rien, je suis rentrée chez ma mère avec un sac en lui disant: «Voilà, on va recommencer avec ça.»