Ce qu'il en reste
Serge Martinez, 59 ans, employé à la Safer, Saint-Hilaire
À 22 h sonnantes, ça commence à tomber. Vers minuit, on va se coucher, volets fermés, fenêtres ouvertes. Vers 4 h , c’est un cri qui m’a réveillé. J’ai pensé à des jeunes qui sortaient de boîte de nuit, ça arrive parfois. Je me remets au lit, mais les cris reprennent, et là, j’entends distinctement : « Au secours ! » On est sortis sur la terrasse avec Marianne, mon épouse. On avait de l’eau jusqu’à la dernière marche. Nous étions bien au-delà de la crue de 1999. Un bon mètre de plus.
Stéphanie Roux habitait au-dessous. Je passe le portillon, j’avais de l’eau au-dessus des cuisses. Elle était debout sur son quad et il y avait de l’eau jusqu’au guidon. Je suis retourné chez moi pour prendre une corde d’escalade, mais je ne l’ai pas trouvée. Mon fils avait bricolé une bouée et c’est grâce à ça que je suis allé jusqu’à elle. Elle me dit : « Sauve mes chiens d’abord ! ». Elle venait déjà d’en perdre un dans son salon au rez-de-chaussée. Elle habitait côté rivière et dormait au premier étage. Elle est sortie avec deux chiennes. Pendant ce temps-là, la rivière a rempli son salon et le sas d’entrée en contrebas. Ça faisait syphon et elle s’est retrouvée piégée, à l’abri du courant entre les deux maisons, mais incapable de retourner à l’étage. Du coup, elle était debout sur son quad avec ses chiennes. « Sauve mes chiens ! » Elle n’a pas voulu venir. J’ai fait passer les chiens, j’avais de l’eau jusqu’au nombril, et ça montait. Quand je me suis mis à l’eau pour aller la chercher une troisième fois, je me suis dit qu’avec une bonne impulsion, ça allait passer. Si je partais, j’étais mort. Mais je n’ai pas réfléchi une seconde. Je lui ai donné la bouée, j’avais de l’eau au niveau des épaules. Il y a un truc qui m’a tapé la poitrine, je pense que c’est une bille de bois de chauffage. J’ai vu passer des gros seaux de peinture, un truc blanc qui ressemblait à un frigo et surtout une cuve à vin de 20 hectolitres. Ça m’a arrêté.
On est resté là. Si on traversait, on y passait. Du coup, on est resté debout sur le quad, de l’eau jusqu’au cou, on se tenait à la tonnelle au-dessus. Entre-temps, une des chiennes était revenue pour sauver sa maîtresse. J’ai vu l’escalier de la remise qui montait au premier étage. On est passé par là. Stéphanie avait de l’eau jusqu’à la taille, sachant que le grillage est déjà à deux mètres du sol. J’ai ramené la chienne. On a nagé dans la cour des voisins, ils avaient une cuisine d’été, les meubles flottaient. On était hors courant sur le côté. Notre espèce de bouée commençait à se dégonfler. En tirant Stéphanie, je me suis agrippé à un truc, j’ai pris conscience que c’était l’antenne de l’autoradio de la voiture. Nous étions en train de marcher sur le toit de la voiture. On est monté au premier étage et l’eau est montée jusqu’à la dernière marche. J’ai installé une table, une chaise dessus pour pouvoir continuer à monter, si besoin. On a mis deux fauteuils côte à côte, Stéphanie a trouvé une bâche. On s’est enroulé dedans avec la chienne sur nous et on a attendu trois heures. Je me levais toutes les trois minutes pour voir le niveau de l’eau.
Si j’avais pris un shoot de cocaïne, je n’aurais pas été plus excité. Vers 4 h du matin, j’ai vu des gyrophares. On était plus tout seul. À 7 h 30, je suis redescendu. Marianne, mon épouse, et Henry, mon fils, étaient au premier étage. Je pouvais voir ma maison dans l’eau avec la Twingo de Marianne qui flottait dans le jardin.
Plus tard, un ami pompier m’a dit que j’avais pris des risques démesurés. J’avais deux choix : soit la regarder mourir, soit essayer de la sauver.