PORTFOLIO: Histoires d'Eaux, France
Une goutte d’eau puissante suffit pour créer un monde et pour dissoudre la nuit. Pour rêver la puissance, il n’est besoin que d’une goutte imaginée en profondeur. L’eau ainsi dynamisée est un germe ; elle donne à la vie un essor inépuisable. Gaston Bachelard, L’Eau et les Rêves, 1942
Le 19 septembre 2020, Valleraugue, Gard, France :
La pluie tombe, peu à peu son rideau s’épaissit. Les larges murs des habitations cévenoles nous protègent, l’inquiétude bat en retraite. Ici, à Valleraugue, aux pieds du mont Aigoual, les épisodes cévenols sont cycliques. Une fois le matériel en extérieur à l’abri, il n’y a pas grand-chose à faire, si ce n’est attendre et vaquer à une occupation intérieure. La montagne d’en face se transforme en une esquisse aux contours évanescents. Les arbres s’agitent comme des pinceaux.
Spectaculaire
Ce rideau fluide continue de s’épaissir. D’un côté de la fenêtre, la force de l’eau qui s’abat sur les terres, puis un bruit sourd, envahissant, s’installe. De l’autre côté, c’est l’attente, l’observation. Peu à peu, rivières, ruisseaux et valats qui alimentent l’Hérault gonflent, et la puissance du courant arrache tout sur son passage.
L’effarement s’invite
Le paysage est maintenant complètement brouillé. Des torrents montagneux surgit une eau boueuse et dense. Les habitants grimpent à l’étage de leur maison, n’ayant d’autre choix que de laisser ce monstre liquide traverser leurs garage, salon, chambres. Plus d’électricité, plus d’eau potable, 720 mm viennent de s’abattre sur la vallée : une année de pluie en douze heures !
Impuissance totale
Dans la vallée, la route se faufile au rythme de l’Hérault et dévoile un nouveau paysage. Des frigos, des voitures, des poubelles, des embâcles... ont brisé des ouvrages de pierre construits il y a des décennies. Chaos métallique. Des arbres de vingt mètres de haut sont couchés de tout leur long, des terres cultivées emportées laissent le schiste à nu.
Désolation
Cette crue, historique, est gravée dans les esprits et les méandres de la vallée. Les stigmates visibles de la nature dévastée s’estompent progressivement sous une nouvelle végétation, les ponts se redressent, les habitants aussi se reconstruisent. Je me suis installée avec ma famille à Valleraugue, un an avant cet évènement. Cette crue fut l’élément déclencheur pour tenter de mettre en images ce lien étroit unissant une population à la rivière : un enjeu crucial, plus encore aujourd’hui avec le changement climatique. Là où il y a de l’eau, il y a de la vie. Les villages s’organisent autour de la rivière, de ses affluents et des sources.
Si l’eau cesse de couler, que devient cette vie ?
Sur les rives cabossées, le geste le plus banal, le plus quotidien donne tout son sens à cette réalité brute. J’ai échangé avec des maraîchers, des bergers, des agriculteurs, des riverains, des touristes, des ouvriers, des élagueurs... L’intérêt qu’ils portent à la rivière n’est pas le même, et pourtant, elle les relie. Chacun a une histoire à raconter – ou pas d’ailleurs – sur cette eau paisible, puis destructrice, parfois même invisible, s’évanouissant insidieusement sous les cailloux.
Les hommes ont nommé ces lieux, ces lieux ont défini ces hommes. Crêtes successives, territoire raide, caillouteux où le corps est continuellement mis à l’épreuve : il faut grimper, glisser, tirer, traîner, marcher et marcher sans cesse. Avec toujours un œil sur le ciel et sur cette eau si pré- cieuse, vitale. On naît là, on est là, c’est ainsi. L’ailleurs ne va pas plus loin : il est vaste, généreux et coriace.
© Viviane Dalles, 2023